DS est-il le nouveau jackpot du Groupe PSA ?

Nommé directeur général adjoint de Citroën au printemps 2013, Yves Bonnefont a pris les fonctions de directeur de la marque DS à sa création en 2014, avec pour mission de faire de DS la marque Premium du groupe. Centralien de 46 ans, Yves Bonnefont nous raconte avec enthousiasme la naissance d'une marque atypique.

Diplômé de Centrale Paris, Yves Bonnefont a commencé sa carrière en 1994 au sein du Groupe PSA à l’usine de Rennes puis au centre technique de Vélizy. Après un intermède de quelques années dans l’univers du conseil, Yves Bonnefont réintègre le Groupe PSA en qualité de directeur de la Stratégie et pilote notamment la réflexion sur le positionnement des marques Peugeot et Citroën.



  Quelle est la singularité de la DS ?

L’ADN de DS Automobiles est l’alchimie de deux composantes, la technologie et le savoir-faire français du luxe. Le point de départ, la DS de 1955, une voiture exceptionnelle, extrêmement innovante que l'on se plaît à conserver à l’esprit. Outre son design révolutionnaire pour l’époque, elle a apporté beaucoup d'innovation sur le plan technologique (suspension, direction assistée, boîte de vitesses) et créé une véritable rupture.

Aujourd’hui encore Nous continuons à casser les codes : cette volonté de rompre avec les conventions est l’un des attributs de la marque DS. En 2010, a été lancée la ligne DS à l'intérieur de la marque Citroën avec la DS 3, la DS 4 et la DS 5. Si nous prenons l’exemple de la DS 3 les clients l’ont appréciée parce qu’elle est haut de gamme sans être austère, grise et triste. La DS 3 est « pétillante » avec ses toits bi-ton et fort « sympathique ».


 Dans quel contexte l’idée de lancer une marque premium a-t-elle germé ?

En 2012, Philippe Varin m'a deman en ma qualité de Directeur de la stratégie. Nous avons constaté que les clients de la ligne DS à l'intérieur de Citroën présentaient davantage de différences avec les clients Peugeot et Citroën que les clients Peugeot et Citroën entre eux. DS se distinguait bien plus nettement et présentait le potentiel d'être une marque à part entière.


 En 2014, vous décidez que DS deviendra la marque premium du groupe PSA, indépendante de Citroën. Comment s’est déroulée la mise en place de ce projet ?
Nous avons constitué une équipe commando animée par un état d'esprit assez différent de celui d'un grand groupe industriel traditionnel. Nous avons décidé trois valeurs managériales: « entrepreneuship » pour la dimension entrepreneuriale, l’audace et l’excellence.

Trois valeurs fortes pour créer quelque chose de nouveau sans faire de l'eau tiède, et nous différencier de façon assez forte des autres marques du groupe et des autres marques premium du marché. Nous avons fait le choix d’oser, d’avoir un positionnement singulier, de disposer de notre propre ADN et de nos propres valeurs.


  En quoi consistait votre stratégie ?

Elle s’articulait en deux phases. La première consistait à faire évoluer les produits existants (DS 3, DS 4, DS 5). Nous les avons enrichis sur le plan technologique, estampillés DS et nous nous sommes mis au travail sur les DS de deuxième génération. Le DS 7 CROSSBACK est la première voiture 100% DS pour laquelle nous avons dessiné le premier trait de crayon après avoir pris la décision de créer la marque.

Quelque part, DS Automobiles naît vraiment avec ce modèle. Dans l'automobile, concevoir un nouveau produit prend entre 3 ans et 3 ans et demi. Pour DS 7 CROSSBACK, nous avons débuté à partir du second semestre 2014 et aujourd’hui son lancement est désormais imminent. La seconde phase commence donc avec la sortie de du DS 7 CROSSBACK qui sera suivie du lancement d’un nouveau produit par an.

A la création de la marque, en juin 2014, nous avons défini une stratégie qui n’a pas varié d’un iota. Au quotidien, nous executons de façon méthodique cette stratégie.


  Le projet DS ne se résume pas au lancement d’une nouvelle gamme de voitures. Quelles sont ses autres dimensions ?
Le produit est important dans l'automobile mais nous avons souhaité mettre à profit ces trois ans et demi pour travailler sur les autres piliers constituant une marque. La distribution est le second fondement.

En France, nous avons donc travaillé très en amont avec les concessionnaires Citroën afin d’enclencher le lancement d’un réseau dédié DS. Nous avons beaucoup échangé avec nos distributeurs afin de les associer au projet et de le mener avec eux et non contre eux. La présentation du projet a reçu deux accueils contradictoires.

Les uns jugeant formidable de créer une marque premium française ancrée dans le savoir-faire français du luxe en concurrence avec toutes les marques premium établies ; les autres prenant conscience que le marché DS serait plus concentré que le réseau Citroën dimensionné pour vendre un million de voitures. 


  Comment avez-vous défini les lieux d’implantation des concessionnaires DS et imaginé le maillage du réseau ?

Nous avons adopté une démarche très pragmatique. Dans le cadre du règlement européen, nous avons défini notre numerus clausus. Nous avons privilégié une démarche basée sur le volontariat en proposant à tous les concessionnaires Citroën ayant participé dès le début à l'aventure l'opportunité d'investir sur DS, à condition qu'ils satisfassent des critères de qualité.

Ce fut un travail assez long mais aujourd'hui, les DS Stores ont vu le jour et se développent. Fin septembre, nous avions 49 points de ventes dédiés en France (DS Stores ou DS Salons qui ont un format un peu plus petit que le DS Store). Nous en aurons 115 à la fin de l'année et 150 d’ici fin juin. Nous avons une stratégie mondiale de développement basée sur les 230 plus grandes villes de la planète.


  Quelle est votre approche de l’expérience client ? Quel est l’apport de DS en la matière ?

L’expérience client est le troisième pilier de la stratégie de la marque. Nous avons formalisé notre démarche sur le sujet à travers le programme de services Only You. Les acteurs de l'automobile étant souvent assez médiocres dans ce domaine, il existe un vrai potentiel de différentiation sur cet axe.

Nous avons donc décidé de jouer cette carte. Lexus est vraisemblablement le meilleur aujourd’hui sur le sujet et atteste d’une nette avance sur le reste de la concurrence. A travers ce programme, nous souhaitons prendre de l'avance sur Lexus et nous positionner en tant que leader en matière d’expérience client. Le travail à produire est colossal car la qualité de service est très exigeante, elle doit être partout et tout le temps.

Il est en effet difficile d'assurer que n'importe quel client, n'importe où dans le monde, bénéficie de la même qualité de service, il faut donc normer et former. Nous avons ainsi créé la DS Academy dans laquelle toutes nous équipes réseaux passent afin d’être formés à la marque, aux produits, aux standards et aux services. Début 2018, nous aurons formé 450 personnes au niveau mondial. Nous souhaitons systématiquement synchroniser et aligner les trois piliers (produit, réseau, expérience client).

  Est-il aisé de mettre en place ce type projet au sein d'un grand groupe ?

Nous avons un soutien très fort du groupe sur le projet DS pour plusieurs raisons. Il existe une fierté technologique - PSA est un groupe très technique et très technologique -, c'est un moteur très puissant pour avancer et créer de nouvelles choses. Nous sommes une équipe très resserrée.

Nous avons vu dans un certain nombre de cas des idées que nous avions poussées et sur lesquelles nous avions été force motrice être reprises par les autres marques du groupe même si nous conservons quelques éléments différenciants pour DS. Nous essayons de « piquer » l’organisation avec de nouvelles idées et d’entraîner l’ensemble du groupe avec nous.


  Comment définir les services du programme Only You ?

Nous sommes partis sur trois principes de base pour imaginer les services de ce programme. Lorsque j'ai le temps de m'occuper de ma voiture, le concessionnaire est généralement fermé. Nous avons donc souhaité être disponibles quand le client est disponible et ne pas demander au client de se rendre disponible quand nous étions ouverts. C'est assez complexe à faire…

Nous avons donc créé DS at your service, une conciergerie téléphonique disponible de 8h à 22h où les interlocuteurs DS sont spécifiquement formés à la marque. Les équipes doivent être en capacité de répondre à toutes les questions. Pour évaluer nos performances, je regarde en permanence un indicateur, le « Once and Done ». Le client nous contacte et tout doit être réglé au premier appel de sorte qu’il n’ait pas besoin de rappeler.

Il est possible de prendre rendez-vous pour l’entretien du véhicule, faire un point sur son contrat en leasing afin de connaitre l'échéance, etc. Selon notre deuxième principe, le client doit toujours avoir le choix de venir chez DS ou de demander à DS de venir à lui. Cela commence avec l'entretien : si vous le souhaitez, un valet de service vient récupérer votre voiture sur le lieu de votre choix et vous la ramène lorsque l'entretien est terminé.

Nous sommes également en train de créer un service pour la livraison des véhicules neufs sur le lieu de votre choix (DS Delivery Service). C'est assez compliqué car la livraison d’un véhicule neuf nécessite de prendre en compte la prise en main - il y a de plus en plus de technologie dans les voitures (la conduite autonome, par exemple) et cela demande au minimum que le lieu de livraison de la voiture soit adapté pour expliquer tout cela sereinement et dans de bonnes conditions.

Selon le troisième principe, nous souhaitons garantir la mobilité de nos: nous devons donc aller plus loin que le simple acte de vente d’une voiture car les formes de consommation ont évolué (leasing, location longue durée, etc). Nous avons ainsi créé DS RENT un service de location de DS assuré par les concessionnaires de la marque.

Lorsque vous réservez une DS chez un loueur, vous n’avez pas la garantie de disposer du véhicule choisi. Avec DS RENT nous vous assurons la location d’une DS via un concessionnaire DS. Cette prestation peut être combinée avec le DS Valet qui nous permet de livrer la voiture de location du client où il le souhaite. Nous disposons aujourd'hui en France de 16 points de vente proposant ce service. Nous continuons la phase pilote, puis nous serons ensuite capable de le déployer plus largement courant 2018.


  Quelle est votre ambition à long terme ?

La question est centrale et notre vision est assez claire : établir une marque automobile haut de gamme française au niveau mondial. Que signifie « établir une marque » ? Nous avons défini deux indicateurs : le « new business » que l'on génère et le « pricing power » que l'on est capable de créer.


  A l’aune de quels critères pourra-t-on juger la réussite de DS ?

Si  DS Automobiles est un outil de croissance pour le groupe et si nous sommes en mesure d'attirer - et de conserver - de nouveaux clients qui n'achètent pas encore une marque du groupe, nous pourrons parler de succès. Pour cela, nous avons défini une mesure, le « brand building index » (part des ventes auprès des clients qui ne possèdent ni une Citroën ni une Peugeot & prise en compte du taux de fidélisation Ndlr).

Cette marque doit être une marque haut de gamme, ce critère se mesurant par notre « pricing power ». La valeur de nos voitures est-elle reconnue par nos clients ? Sont-ils prêts à payer la valeur correspondante ? Nous pensons que si nous adoptons le bon positionnement tarifaire et que, dans le même temps, nous sommes capables d'aller chercher la croissance avec du « new business », nous aurons gagné le pari de créer une nouvelle marque haut de gamme.


  Quelle regard portez-vous sur la voiture électrique ?

Nous l'avons positionné au cœur de la marque. Au moment de sa création,  nous nous sommes demandés qu’elle devait être l’identité d’une DS. Nous avons défini quatre marqueurs c’est-à-dire les bénéfices clients de nos produits. Nous souhaitions tout d’abord être à l'avant-garde du design, ces voitures devaient avoir quelque chose de particulier qui accroche l’œil et interpelle. Le second curseur consiste à offrir un confort dynamique : la personne doit avoir plaisir à conduire sa voiture. Le raffinement est le troisième axe.

Il est en lien avec le luxe à la française, la voiture doit donc avoir de belles matières. La technologie est le dernier de nos curseurs. Nous souhaitons exceller dans trois domaines technologiques, dont l'électrique fait partie. Nous sommes orientés non pas pour faire une petite voiture urbaine électrique mais pour faire des voitures électrique haute performance. L’électrique se situera systématiquement au sommet de notre gamme.


  Quelles sont les spécificités de votre premier modèle électrique, le DS 7 CROSSBACK ?

Nous allons lancer une version plugin hybride (assez lourdement électrifiée mais qui conserve un moteur thermique) de 300 chevaux avec quatre roues motrices : ce modèle sera le haut de gamme de la  DS 7 CROSSBACK. Nous sommes animés par la volonté de respecter la planète et d'avoir quelque chose d'aussi écologique que possible.

Lorsque nous avons lancé la marque, nous avons constitué un département de sport automobile, DS Performance, et nous avons engagé la marque dans le championnat de formules électriques (Formule E). Ces courses se déroulent au cœur des villes, notamment à Paris autour des Invalides. Dès la première année, nous étions sur le podium !


  Electrique, conduite autonome : quelles sont les conséquences de ces révolutions sur le marché ?

C'est assez passionnant, le secteur est en train de changer de fond en comble.  L’électrique vient complètement modifier la donne sur les moteurs, tandis que la conduite autonome nous donne à réfléchir sur le temps passé dans nos voitures.
Aujourd’hui, les gens passent entre une heure et une heure et demi par jour, voire plus, au volant. Un temps durant lequel ils écoutent la radio, réfléchissent, etc.

Comment faire pour redonner du temps au client ? La conduite autonome est un des moyens d’y parvenir - c’est un vrai sujet de réflexion chez nous. Le DS 7 CROSSBACK est un véhicule autonome de Niveau 2 : elle régule sa vitesse sur son axe et reste sur sa trajectoire, le conducteur peut retirer les mains du volant sans excéder 15 secondes – selon la réglementation actuelle, il est obligatoire de conserver les mains sur le volant. Afin d’anticiper les prochaines évolutions réglementaires, nous implantons déjà les technologies ad hoc dans nos voitures.

Dans un avenir proche, il ne sera plus obligatoire de conserver les mains sur le volant et d'être attentif : on passera bientôt au Niveau 3 (« hands off »), avant d’aller vers le Niveau 4 (« eyes off », voire « mind off »). A terme, le client pourra dormir, et la voiture devra être capable de s'arrêter d’elle-même en cas de problème. Nous travaillons sur ces sujets mais aussi sur l'habitacle de la voiture.


  C’est-à-dire ?

Que se passera-t-il lorsque le conducteur aura les mains libres et n’aura plus l’obligation d’être attentif ? Il pourra lire, travailler, regarder des films, ou dormir. Cela change tout, n’ayant plus les mains agrippées au volant, ce dernier deviendra donc gênant si l'on veut positionner un livre ou un ordinateur.

On réfléchit déjà à de futures innovations : du siège qui recule au volant qui s'escamote. Mais si l'on veut continuer d’interagir avec la voiture, il faut réfléchir à d'autres modalités. Nous travaillons beaucoup sur l'assistance vocale. Il sera bientôt possible de parler à sa voiture en lui donnant des ordres. Tout ceci fait partie d'un ensemble de technologies appelées « cockpit connecté et prédictif » sur lesquelles nous travaillons chez DS. Une première vague verra le jour vers 2021, puis une seconde au-delà de 2025.


  Quel est l’enjeu pour l’industrie automobile dans les vingt prochaines années ?

En automobile nous sommes dans des cycles longs et le challenge consiste à faire évoluer l'industrie vers la mise à jour des voitures. Nous avons beaucoup travaillé dans le cadre de notre plan stratégique actuel « Push to Pass » sur le « Forever up to date ».

Comment faire pour être capable de mettre à jour nos voitures de manière continue en termes de software et, pourquoi pas un jour, en termes de hardware afin de raccourcir les cycles technologiques ? Il faut réfléchir à la superposition de deux cycles technologiques : celui du métal qui est assez lent et celui du logiciel qui est beaucoup plus rapide. Notre idée est d’offrir de nouvelles fonctions dans le cadre d’une voiture évolutive.

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